Montpellier (Université Paul-Valéry)

“Interroger le texte à l’ère de l’“intelligence mécanique” 

la stylistique outillée, au carrefour du disciplinaire et de l’interdisciplinaire”

 

Description et organisation

« Je me souviens de l’étonnement où je fus plongé, il y a deux ou trois ans, lorsque des Américains, dans la maison desquels je fréquentais, me parlèrent pour la première fois de « laboratoires de philologie », de « manipulations de textes », d’ »ateliers de psychologie ». […] Je compris que les sciences, les arts, les lettres et la poésie elle-même, tout cela se ferait désormais à la machine.

J’admirai une fois de plus combien les humains sont industrieux et je souhaitai une occasion d’apprendre le maniement d’une de ces intelligences mécaniques au prix desquelles mon cerveau ne me paraissait plus qu’un joujou inutile. » (G. Apollinaire, « La Sorbonne est ébranlée », L’Intransigeant, 5 avril 1911)

Appel à communications

Le développement de projets pluri- et interdisciplinaires en Humanités numériques et l’importance des sources littéraires mises à disposition par la numérisation massive d’archives invitent, ces dernières années, à interroger les méthodes de leur exploration outillée. Les éditions numériques enrichies, l’annotation variée, collective et interopérable des ressources littéraires posent en particulier la question de leur spécificité auctoriale et générique lorsqu’elles sont préparées et interrogées dans un environnement numérique. Ainsi, les “données textuelles” extraites d’oeuvres littéraires et analysées par divers outils numériques (lexico- ou textométrie, calculs statistiques,  méthodes de plongement lexical) demandent en effet à être singularisées et reconnues dans leur spécificité intentionnelle et stylistique (Garric et Maurel-Indart, 2010 et 2011). Leurs caractéristiques propres (leur textualité et leur dimension discursive par exemple) doivent alors être prises en compte dans leur étude (notamment quantitative) et confrontées à d’autres analyses qualitatives.

Progressant dans le sens d’une « reconquête de l’expression » (Rastier, 2011), l’enrichissement informatique du texte ouvre la voie à de nouveaux objets d’étude, de nouveaux faits observables et, par conséquent, à une théorie à construire. C’est dans cette perspective qu’émergent de nouvelles disciplines, comme la “stylistique outillée”, dans le sillage de la linguistique de corpus (Williams, 2005), de l’analyse du discours (Maingueneau et Amossy, 2003, Adam et Heidmann,  2005) et de l’analyse lexico- et textométrique (Lebart et Salem, 1994, Pincemin, 2008, Brunet, 2009, Ablali et Kastberg-Sjöblom, 2010).

Cet héritage influence les définitions de cette “stylistique outillée”, ainsi nommée depuis quelques années seulement, qui articule aujourd’hui l’analyse computationnelle et statistique du style (reconnaissance de patterns, attribution d’auteurs, etc.) et sa modélisation au regard des langues, des genres et des périodes considérés. Or on constate que si la linguistique de corpus et l’analyse statistique de textes (littéraires ou non) se sont implantées depuis longtemps dans le champ des études linguistiques, la stylistique outillée reste parfois en marge des “sciences de la culture” et occupe une place assez timide au sein des études stylistiques dont elle adapte les unités d’analyse et la méthode d’exploration des textes.

La méthodologie développée par ce type d’approches outillées engage en effet à des redéfinitions pragmatiques de la notion de style (Herrmann et al., 2015) en y intégrant une dimension contrastive et empirique. L’ancrage de la stylistique outillée dans des travaux inter et pluridisciplinaires semble considérablement influencer non seulement ses objets d’études, mais aussi la conception de son corpus et sa manière de rendre visibles et lisibles ses observables (Jacquot, 2016).

Dans la continuité d’autres conférences internationales qui appelaient à communiquer sur les avancées en “stylistique outillée” (“Machiner la poésie”, “CfP: Digital Stylistics in Romance Studies and Beyond”, “Colloque International PhraseoRom”, par exemple), ce colloque s’articulera autour de deux axes de réflexion :

  • Le premier axe interrogera l’aspect outillé de cette discipline et appelle à proposer des retours d’expériences :
    • La stylistique outillée propose-t-elle seulement une méthode d’analyse des textes ou est-elle susceptible d’acquérir davantage de légitimité conceptuelle et épistémologique ? Dans ce cas, comment articuler ces deux dimensions ? Quelles en sont les conséquences pour un travail inter- et pluridisciplinaire (linguistique, stylistique, littéraire, sociologique, anthropologique…) ?
    • Comment résoudre d’un point de vue méthodologique les problèmes posés par une modélisation textuelle (au niveau des unités structurelles, par exemple) pour confronter les genres et les langues ? Comment les solutions trouvées sont-elles “négociées” et harmonisées ?
    • Comment définir une annotation stylistique ? Comment ménager une annotation “stratifiée” (c’est-à-dire une annotation qui intervient à différents niveaux de l’analyse textuelle et linguistique) ? Quelles sont les techniques automatisées existantes sur lesquelles la stylistique outillée peut se fonder (annotations sémantiques, enrichissement par plongement lexical, etc.) ? Quelle place lui donner dans un projet inter- ou pluridisciplinaire ?
  • Le second axe s’attachera à questionner les apports de la stylistique outillée dans le cadre d’analyses contrastives :
    • Que peut-on chercher à comparer ? Dans quelle mesure ce travail de confrontation contribue-t-il à définir les contours de cette discipline (Underwood, 2014) ?
    • Quelles sont les techniques d’extraction de données et de visualisation utilisées en stylistique outillée au regard des problèmes spécifiques posés par la dimension contrastive de l’analyse stylistique ? En quoi s’inspirent-elles de l’existant (key-words, clustering, AFC) ?
    • Comment ces changements méthodologiques et pratiques modifient-ils la manière d’interpréter les textes ? Comment les dimensions outillée et/ou contrastive contribuent-elles à la faciliter et à la complexifier ? Peut-on parler de “complémentarité” d’approches ?

Les questions proposées ici ne sont évidemment pas exhaustives. Les communications pourront porter sur des corpus en français ou d’autres langues ou sur des corpus contrastifs (langues, genres, auteurs différents). Cette conférence invite tout particulièrement les chercheuses et chercheurs participant à des projets qui intègrent la stylistique outillée ou qui travailleraient à construire leurs propres outils d’analyse à venir présenter leur expérience.

Références bibliographiques indicatives

  • Ablali D. et Kastberg-Sjöblom M. (dir.), Linguistique et littérature : Cluny, 40 ans après, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2010.
  • Adam J-M., Linguistique textuelle. Des genres de discours aux textes. Paris, Nathan, 2004.
  • Adam J-M. et Heidmann U, Sciences du texte et analyse de discours, Genève, Editions Slatkine, 2005.
  • Biber, D et Conrad, S., Register, Genre, and Style. Cambridge, UK; New York, Cambridge University Press, 2009.
  • Brunet E., Comptes d’auteurs. Vol. 1 : Etudes statistiques de Rabelais à Gracq, Paris, H. Champion, 2009.
  • Burrows, J., “‘Delta’: A Measure of Stylistic Difference and a Guide to Likely Authorship.”, in : Literary and Linguistic Computing, 17/3, 2009, p. 267-87. URL :  https://doi.org/10.1093/llc/17.3.267
  • Garric, N. et Maurel-Indart, H. (dir.), Vers une automatisation de l’analyse textuelle, in Texto !, [En ligne], Volumes XV – no 4 (2010) et XVI – no 1 (2011)
  • Guiraud, P., Les Caractères statistiques du vocabulaire, Paris, Presses Universitaires de France, 1954
  • Guyot, A. (2006), « Stylèmes et corpus génériques : un essai de confrontation au service de la stylistique des genres », Corpus, n°5, décembre 2006, en ligne, http://corpus.revues.org/index472.html
  • Herrmann, J. B., Schöch, C. et van Dalen-Oskam, K., “Revisiting Style, a Key Concept in Literary Studies”, in : Journal of Literary Theory, 9/1, 2015, p. 25-52.
  • Jacquot, C., “Rêve d’une épiphanie du style : visibilité et saillance en stylistique et en stylométrie”, in : Revue d’histoire littéraire de la France n°3, 2016, p. 619-670
  • Lebart L. et Salem A., Statistique textuelle, Paris, Dunod, 1994.
  • Leech, G. N., et Short, M., Style in Fiction: A Linguistic Introduction to English Fictional Prose. London ; New York, Longman, 2007.
  • Magri-Mourgues, V. (dir.), Corpus, 5 “Corpus et stylistique”, 2006.
  • Mahlberg, M. Corpus Stylistics and Dickens’s Fiction. London, Routledge, 2013.
  • Maingueneau D. et Amossy R. (dir.), L’Analyse du discours dans les études littéraires, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2003.
  • Malrieu, D. & Rastier, F. (2001), « Genres et variations morphosyntaxiques », Traitement automatique des langues, vol. 42, n°2, pp. 548-577.
  • Molinié G. et Cahné P. (éds.), Qu’est-ce que le style ?, Paris, P.U.F, 1994.
  • Pincemin, B., « Modélisation textométrique des textes », JADT 2008, 9èmes Journées internationales d’Analyse statistique des Données Textuelles. Mar 2008, Lyon, France. Presses Universitaires de Lyon, 2, p.949-960, 2008.
  • Rastier François. Arts et Sciences du texte, Paris, Presses Universitaires de France, 2001.
  • Rastier, François. La Mesure et le grain, Paris, Presses Universitaires de France, 2011.
  • Schöch, C., “Topic Modeling Genre: An Exploration of French Classical and Enlightenment Drama.” in : Digital Humanities Quarterly, 11/2 [en ligne], 2017. URL : http://www.digitalhumanities.org/dhq/vol/11/2/000291/000291.html.
  • Underwood, T., “Understanding Genre in a Collection of a Million Volumes, Interim Report.” [en ligne], 2014.
  • Viprey, Jean-Marie. « Morneille, Colière et messieurs Labbé » [en ligne] URL : http://elliadd.univ-fcomte.fr/archives_laseldi/document/affaireMorneilleColiere/morneille.htm 2003.

Programme

Jour 1 – Mardi 11 juin 2019 – Auditorium

9h00 accueil des participants du colloque

9h30-12h30

  • 9h30-10h15 1 Conférencier invité
    Christof Schöch (Trier Universität) Repeating and Repeatable: Digital Literary Studies between Past and Future

  • 10h30-11h pause café

  • 11h00-12h30 1ère session (20′ + questions)

    • 11h00-11h30 Margherita Fantoli (Université de Liège) — Choix du corpus : actualité d’une question ancienne. Le cas de l’Histoire Naturelle de Pline

    • 11h30-12h00 Johan de Joode (Catholic University of Leuven) — The Identification of Genres and their Characteristics in Ancient Literary Texts: A Digital Stylistic Approach

    • 12h00-12h30 Céline Roussel (Université Paris-Sorbonne – Paris IV. Centre de Recherche en Littérature Comparée) — Fouiller le « non-visuel » grâce à la stylistique outillée : du style aveugle à l’histoire du sensible

Pause déjeuner

14h30-18h

  • 14h30-15h45 1 Session poster

    • Paul Fièvre (Université Paris-Sorbonne – Paris IV. Projet Molière) — Théâtre classique – Dix ans d’une expérience opérationnelle en humanités numériques

    • Antonio Pascucci, Jacopo Colombo, Vincenzo Masucci, Johanna Monti (« L’Orientale » University of Naples UNIOR NLP Research Group / Expert System Corp) — Computational Stylometry for Reputation of Medical Texts

    • Véronique Duché (The University of Melbourne) — Explorer les journaux de tranchées

    • Sascha Diwersy (Université Paul-Valéry Montpellier 3. Praxiling) — Présentation de la plateforme PhraséoRom

    • Francesca Frontini (Université Paul-Valéry Montpellier 3. Praxiling) — L’infrastructure CLARIN pour les ressources linguistiques et les outils pour l’analyse textuelle stylistique

  • 15h45-16h00 pause café

  • 16h00- 17h30 3e Session (20′ + questions)

    • 16h00-16h30 Souad El Fellah (Université Paul-Valéry Montpellier 3. Praxiling) — Automatiser les figures de style: du dilemme de l’outil au choix de l’annotation appropriée

    • 16h30-17h00 Suzanne Mpouli (Université Paris 3, Université Paris 7. Histoire des Théories Linguistiques) — Annotating similes for stylistic purposes

    • 17h00-17h30 Ouafae Benzina (Université Moulay Ismail de Meknès) — Vocabulaire romanesque de Guy de Maupassant à l’épreuve de ‘‘l’intelligence mécanique »

Jour 2 – Mercredi 12 juin 2019 – Salle Kouros

9h30-12h30

  • 9h30-10h15 Conférencière invitée
    Berenike Herrmann (Basel Universität) What is Your Style? On Linear and Non-linear Modes of Reading in Digital Literary Stylistics

  • 10h30-11h pause café

  • 11h00-12h30 4e Session (20′ + questions)

    • 11h00-11h30 Marie-Christine Lala (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3. CLESTHIA) — Le motif à la croisée de disciplines. Quels enjeux pour la stylistique outillée ?

    • 11h30-12h00 Véronique Magri et Etienne Brunet (Université Nice Sophia Antipolis. Bases, Corpus, Langage) — Intelligence artificielle et stylistique d’auteur. L’exemple de Giono

    • 12h00-12h30 Marc Vandersmissen (Université de Liège – Gembloux) — Les personnages de théâtre ont-ils un style ? Recherche outillée sur un corpus trilingue

Pause déjeuner

14h30- 17h30

  • 14h30-15h15 Conférencière invitée
    Iva Novakova (Université Grenoble Alpes, LIDILEM) — Le projet PhraséoRom : à la croisée de la phraséologie et des genres littéraires

  • 15h30-15h45 Pause

  • 15h45-17h30 5e Session (20′ + questions)

  • 17h10-17h20 Clôture du colloque

Contact

mtpstyl2019@sciencesconf.org

(Texte des organisateurs)

Lien

https://mtpstyl2019.sciencesconf.org/resource/page/id/6

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