Dans un précédent billet, Luciana Soares signalait la parution d’un recueil d’articles de John Dillon, The Platonic Heritage – Further Studies in the History of Platonism and Early Christianity. Parmi ces articles, l’un concerne plus particulièrement la thématique de ce carnet de recherche, « Monotheism in the Gnostic Tradition », précédemment publié dans Polymnia Athanassiadi and Michael Frede (ed.), Pagan Monotheism in Late Antiquity, Oxford, 1999, p. 69-79.

Dans cet article, l’auteur s’interroge sur le monothéisme des écrits gnostiques connus pour leur hiérarchie divine complexe, avec un plérôme constitué de nombreuses entités. Il montre, à partir de quelques exemples (Apocryphon de Jean, Allogenes), qu’il existe bien un monothéisme dans les écrits gnostiques. Ce monothéisme doit peu au christianisme, selon notre autre, et il serait même plus radical que le monothéisme juif ou chrétien, avec un Dieu transcendant et impersonnel.

Les dernières lignes sont intéressantes, même si elles concernent moins le thème même de l’article. Il s’interroge en effet sur la contribution éventuelle des gnostiques (et des Oracles chaldaïques) aux idées des platoniciens, voire de Plotin lui-même, pour ce qui concerne la présence d’une triade au niveau de la deuxième divinité ; sauf si Numénius avait déjà préparé un système de ce genre.

Il s’agit d’un article toujours intéressant. Mais il faudrait mettre de côté certaines affirmations qui témoignent que John Dillon ne doit pas beaucoup aimer les gnostiques. Ainsi, il semble considérer l’éventuelle contribution des gnostiques aux idées platoniciennes comme negative (p. 78) : « the alternative, I fear, is to admit that the Gnostics (and Chaldaeans) made this substantive contribution to the later Neoplatonic system, and even to that of Plotinus himself. » Plus haut (p. 74), il parlait des gnostiques : « as very much the magpies of the intellectual world of the second century, garnering features that take their fancy both from the Jewish and Christian scriptures, and from the metaphysics of contemporary Platonism. »

 

CONTENTS

 

The riddle of the Timaeus: is Plato sowing clues?

Plotinus, Speusippus and the Platonic Parmenides

The Timaeus in the old Academy

Philip of Opus and the theology of Plato’s Laws

Atomism in the old Academy

Theophrastus’ critique of the old Academy in the Metephysics

The pleasures and perils of soul-gardening

Asomatos: nuances of incorporeality in Philo

Plutarch’s debt to Xenocrates

Plutarch and the inseparable intellect

Plutarch on God: theodicy and cosmogony in the thought of Plutarch

Plutarch’s use of unidentified quotations

The social role of the philosopher in Athens in the 2nd century CE: some remarks

Pedantry and pedestrianism? Some reflections on the middle Platonic commentary tradition

Monotheism in the Gnostic tradition

An unknown Platonist on God

Holy and not so holy: on the interpretation of late Antique biography

Plotinus on whether the stars are causes

lamblichus’ Noera Theoria of Aristotle’s categories

lamblichus’ identification of the subject-matters of the Hypotheses

lamblichus on the personal daemon

The theology of Julian’s Hymn to King Helios

A case-study in commentary: the neoplatonic exegesis of the Prooimia od Plato’s Dialogues

Damascius on procession and return

‘The eye of the soul’: the doctrine of the higher consciousness in the neoplatonic and sufic traditions

Index

BIBLIOGRAPHY

Includes bibliographical references and index.

Plato’s Parmenides and Its Heritage

Volume 1: History and interpretation from the Old Academy to Later Platonism and Gnosticism

John D. Turner et Kevin Corrigan, Leyde: Brill, 2011

Description

Ce volume revient sur l’assertion de Proclus qui est généralement acceptée par la recherche et selon laquelle il n’y a pas d’interprétation métaphysique du Parménide avant Plotin. En effet, des traces d’une telle interprétation assez tôt dans le temps, comme le démontrent les différentes contributions. L’ouvrage est divisé en deux parties, la première « Plato, from the Old Academy to Middle Platonism » et la seconde « Middle Platonic and Gnostic Texts ». C’est cette seconde partie qui nous intéresse ici, particulièrement cinq articles qui évoquent les liens entre écrits gnostiques et le Parménide. Trois d’entre eux discutent notamment les résultats des recherches de Michel Tardieu et Pierre Hadot sur le Zostrien et Marius Victorinus, témoignant de leur importance. Dans « The Platonizing Sethian Treatises, Marius Victorinus’s Philosophical Sources, And Pre-Plotinian Parmenides Commentaries » (p. 131-172), John D. Turner comment le Parménide est devenu un texte de référence pour des auteurs gnostiques au tournant du iiie siècle, comme cela a été le cas chez les philosophes médio-platoniciens. Ceci amène l’auteur à revenir sur le Commentaire anonyme sur le Parménide, pour lequel il adopte une datation préplotinienne, et sur les parallèles entre le Zostrien et Marius Victorinus mis en lumière par Michel Tardieu et Pierre Hadot. Il renforce l’hypothèse d’une source commune, qui pourrait être un commentaire du Parménide, différent toutefois, voire antérieur au Commentaire anonyme du manuscrit de Turin. En annexe, l’auteur donne citations et tableaux comparatifs utiles à la compréhension de son argumentation. Johanna Brankaer s’interroge sur l’existence d’une spéculation hénologique chez les gnostiques (p. 173-194, « Is There a Gnostic ‘Henological’ Speculation ? »), pour répondre par la positive. Elle ne présente pas un panorama de ce que l’on trouve dans l’ensemble des écrits gnostiques, mais uniquement dans quatre écrits qui relèvent de ce que des chercheurs appellent « séthiens »[1] : Les Trois Stèles de Seth, Zostrien, Marsanès et Allogène. Elle relève les passages où il est question de l’Un et s’intéresse plus particulièrement au lexique utilisé pour parler des réalités supérieures et pour exprimer l’unité et/ou l’unicité. Elle aurait pu citer Jean Daniel-Dubois qui aussi des pages au lexique de l’unité/l’unicité, même s’il aborda le Traité Tripartite et non pas un écrit « séthien »[2]. Concernant les rapports entre le Zostrien et Marius Victorinus, contrairement à la plupart des chercheurs, elle insiste sur les différences. Volker Henning Drecoll, dans « The Greek Text behind the Parallel Sections in Zostrianos and Marius Victorinus » (p. 195-212) revient sur les travaux de Michel Tardieu et de Pierre Hadot. Il considère que les parallèles entre le Zostrien et Marius Victorinus sont finalement modestes et concernent des expressions qui sont communes dans les textes philosophiques de l’époque. Il discute ensuite l’hypothèse d’une source commune, d’une part celle avancée par Michel Tardieu et d’autre part celle proposée par Abramowski. Il en vient à suggérer une autre hypothèse : Marius Victorinus aurait connu directement ou indirectement (par l’intermédiaire d’un texte néoplatonicien) la version grecque du Zostrien, une version qui par ailleurs aurait pu être modifiée au moment de sa traduction en copte. Pour le moment, il ne voit pas d’arguments contre cette (double) hypothèse. Les deux articles suivants font intervenir dans la discussion les Oracles chaldaïques. John D. Turner, dans « The Chaldean Oracles and the Metaphysics of the Sethian Platonizing Treatises” (p. 213-232) étudie les structures métaphysiques et les fonctions des différentes entités, successivement dans les Oracles, dans les écrits « séthiens » platonisant et dans le Commentaire anonyme, pour faire ressortir les points de rencontre entre ces trois ensembles scripturaires. Quant à Luc Brisson, dans « A Criticism of the Chaldaean Oracles and of the Gnostics in Columns IX and X of the Anonymous Commentary on the Parmenides » (p. 233-241), revient sur la critique du Commentaire de deux interprétations concernant la possibilité de connaître l’Un (fragment 4, colonnes IX et X). Luc Brisson relève les traits qui caractérisent la seconde interprétation critiquée, celle qui se fonde sur l’autorité des Oracles chaldaïques et il pointe sur la mention de l’audace. Selon lui, cette mention pourrait suggérer que ces interprètes seraient des gnostiques. La lecture de ces articles fut stimulante, et ces articles ne manqueront pas d’intéresser tous ceux qui s’intéressent aux rapports entre écrits et idées philosophiques et gnostiques. On peut souligner aussi que la discussion s’élargit à trois « partenaires » : les écrits platoniciens, les écrits gnostiques et les Oracles chaldaïques.

(Texte de la maison d’édition) 

Table de matières

  • Abbreviations
  • Introduction
  • SECTION 1: PLATO, FROM THE OLD ACADEMY TO MIDDLE PLATONISM
    • The Place of the Parmenidesin Plato’s Thought and in the Subsequent Tradition – Kevin Corrigan
    • Speusippus’s Neutral Conception of the One and Plato’s ParmenidesGerald Bechtle
    • The Fragment of Speusippus in Column I of the Anonymous Commentary on the ParmenidesLuc Brisson
    • Speusippus and the Ontological Interpretation of the ParmenidesJohn Dillon
    • The Indefinite Dyad in Sextus Empiricus’s Report (Adversus Mathethematicos 10.248-283) and Plato’s ParmenidesThomas Szlezák
    • Plato and Parmenides in Agreement: Ammonius’s Praise of God as One – Being in Plutarch’s The E at DelphiZlatko Pleše
    • Moderatus, E. R. Dodds, and the Development of Neoplatonist Emanation – J. Noel Hubler
  • SECTION 2: MIDDLE PLATONIC AND GNOSTIC TEXTS
    • The Platonizing Sethian Treatises, Marius Victorinus’s Philosophical Sources, and Pre-Plotinian Parmenides Commentaries – John D. Turner
    • Is There a Gnostic « Henological » Speculation? – Johanna Brankaer
    • The Greek Text behind the Parallel Sections in Zostrianosand Marius Victorinus – Volker Henning Drecoll
    • The Chaldaean Oracles and the Metaphysics of the Sethian Platonizing Treatises – John D. Turner
    • A Criticism of the Chaldaean Oracles and of the Gnostics in Columns IX and X of the Anonymous Commentary on the ParmenidesLuc Brisson
    • The Anonymous Commentary on Plato’s Parmenides and Aristotle’s Categories: Some Preliminary Remarks – Gerald Bechtle
    • Negative Theology and Radical Conceptual Purification in the Anonymous Commentary on Plato’s ParmenidesAlain Lernould
    • A Criticism of Numenius in the Last Columns (XI-XIV) of the Anonymous Commentary on the ParmenidesLuc Brisson
  • References
  • Contributors
  • Subject – Name Index
  • Index Locorum

[1] Restreindre ainsi le propos de son article à quatre écrits « séthiens » sous un intitulé général « la spéculation gnostique » semble faire des « séthiens » les seuls gnostiques, une position qui rejoindrait celle de David Brakke, The Gnostics, . Je ne suis pas sûre toutefois que ce soit la position de l’auteure, mais le titre pourrait prêter à confusion. De plus, ce titre général par rapport aux écrits choisis (sans que le choix ne soit justifié, comme s’il allait de soi vu la thématique de l’ouvrage) pourrait suggérer que pour trouver une spéculation hénologique, il faut se tourner vers les écrits « séthiens ». Je n’en suis pas sûre ; lire par exemple le Traité Tripartite.

[2] Jean-Daniel Dubois, « L’utilisation du grec dans le texte valentinien copte du Traité tripartite », dans Jean-Marc Narbonne et Paul-Hubert Poirier, Gnose et philosophie. Études en hommage à Pierre Hadot, Québec – Paris, 2009, p. 37-38.

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